Culture / patrimoine Charles Goldstein, peintre de la Shoah

Charles Goldstein dans son atelier à Maincy, la "Ferme de la Bordière". © Département de Seine-et-Marne / Marie Digard
Artiste peintre habité par la guerre d’Algérie et par la Shoah, Charles Goldstein et son épouse Clara vont transmettre au Département leur patrimoine immobilier et plus de cinq cent œuvres. Un héritage artistique et mémoriel sans commune mesure. Entretien.

Date de publication de la page et auteur de publication

Créé le:

Vidéo sur Charles Goldstein

Agé de 86 ans, l’homme a vécu plusieurs vies dont chacune suffirait à bien en remplir une. Tour à tour commerçant avisé et visionnaire, maire-adjoint de Melun durant trente ans en charge de la culture avec à son actif, la fondation de deux équipements majeurs de sa ville, responsable à divers niveaux de consistoires juifs départementaux, ami du Grand rabbin Korsia et de l’auteur-scénariste Jorge Semprùn. Mais aussi, officier d’infanterie de marine durant 30 mois d’une « sale guerre d’Algérie », dont il reviendra meurtri à jamais. Et enfin, surtout ! peintre infatigable et quasi-envouté de la Shoah.

J'ai peint toute ma vie pour le souvenir des disparus qui n'ont même pas eu une pierre tombale.

Charles Goldstein

C’est à l’âge de 24 ans, de retour des Aurès, où il a « brulé sa jeunesse », que Charles Goldstein entre en peinture comme d’autres entrent en religion. Ce sera sa survie. « Sans elle, je ne serais plus là ! », lâche-t-il sur un ton définitif. Doué d’un talent précoce, stimulé par ses pairs, Roger-Calixte Poupart et Marc Chagall, dont il forcera les portes de l’atelier saint-paulois avec « un incroyable culot » dont il s’étonne encore, il peignait habilement depuis l’âge de 12 ans d’un trait figuratif encore apaisé.

Peindre pour les absents

L’expérience des combats d’Algérie, le convertira à l’abstraction totale pour « raconter » désormais une autre guerre qu’il n’a pas faite, mais dont il été le témoin épouvanté : l’entière et irrémédiable disparition des siens durant la Seconde guerre mondiale. Les 80 membres de sa famille pour la plupart restés en Pologne et envolés dans les fumées noires des camps ou enterrés à la hâte dans les charniers de Silésie.

Et puis, ensuite, les autres, ses oncles tantes et cousins qui ont suivi ses parents lors de leur migration vers la France avant l’Orage et qui seront raflés au printemps 1944 dans le Lot, pourtant terre d’accueil, et protégés par ces Justes devant les Nations. C’est à eux qu’il devra la vie, caché six mois durant chez les Sœurs d’un couvent, comme il devra son salut à la meule de foin d’un paysan où il se camoufle avec sa mère pour échapper aux balles d’un motocycliste de la division das reich qui les poursuit. Vingt réfugiés juifs du village-martyr seront ce jour-là massacrés. « J’ai peint toute ma vie pour le souvenir des disparus qui n’ont même pas eu une pierre tombale », raconte l’artiste, toujours en proie à sa transe mémorielle.

Et avant l'automne 2023, il ne pensait certes pas que cette oeuvre de mémoire redeviendrait une oeuvre actuelle de combat contre les temps présents ; contre cet antisémitisme qui, telle la bête immonde, toujours ressort de sa tanière. Le 7 octobre dernier, à quelques kilomètres de la bande de Gaza, d'autres bouchers ont repris le travail et l'ont une nouvelle fois privé à jamais de deux autres membres de sa famille. Ils vivaient dans le kibboutz fondé jadis par son grand-oncle. Quatre de ses cousins ont été retenus en otage durant 54 jours. « Plus de 80 ans après... », insiste Charles Goldstein, perdu dans ses pensées comme pour se persuader de cette nouvelle réalité sans fond.

Pour que tout cela serve aux générations futures, sans dispersion et, pour encore et toujours porter témoignage.

Charles Goldstein

Des centaines de toiles pour raconter l’outre-tombe

C'est cette mémoire d'une famille et de tout un peuple presqu'entièrement massacrés que Charles Goldstein peint depuis son retour d'Algérie, sa seconde terrible épreuve qui a agi sur lui comme une catharsis. « Il a fallu 20 ans pour que je troque mon statut de victime en celui de bourreau », confie-t-il sans concession pour résumer « son » Algérie.

Devenu depuis presque inconsciemment peintre de la Shoah, il a été désigné, nul ne sait par qui, sinon son inconscient, pour raconter la grande et totale Disparition. Comme un médium hugolien, dans une forme de transe picturale, il raconte l'extermination à grands coups d’aplats de couleurs sombres, marquées par les fumées des fours, les suies des fournaises et les amas de cendres qu'il figure par des croutes épaisses de peinture appliquées au couteau. Parfois, un visage de rabbin ou une étoile jaune émergent, seules concessions au figuratif. Et les toiles, souvent grands formats, s'accumulent, s'amoncellent dans l'immense atelier de la maison-musée de Maincy. On en compte plus de cinq-cents.

Une œuvre grave, profonde où le grand Rothko (Markuss Rotkovics, lui aussi hanté par le témoignage) se fait sentir comme s'y fait sentir un peu, de loin, Pierre Soulages. Mais si le géant aveyronnais est hanté par l'outre-noir, Charles Goldstein, lui, raconte l'outre-tombe.

L’éternelle jeunesse des porteurs de mémoire

À 86 ans donc, comme marqué par le syndrome de l'éternelle jeunesse des survivants et des porteurs de mémoire, Charles Goldstein, et son épouse Clara, elle aussi tant éprouvée par le génocide, ont décidé de confié leur superbe demeure historique de Maincy (ancienne métairie de Vaux-le-Vicomte) et l'ensemble de l'œuvre peint accumulé, au Département de Seine-et-Marne. Sans héritiers en mesure de gérer ce legs inestimable, ils ont choisi la donation : « Pour que tout cela serve aux générations futures, sans dispersion et, pour encore et toujours porter témoignage », explique Charles Goldstein. Le lieu pourra devenir musée départemental, maison d'artiste, lieu de médiation et résidence de créateur.

Aujourd'hui, c'est un moment fort qui marquera l'histoire du département de Seine-et-Marne. Il y a des hommes et des femmes, comme Charles et Clara Goldstein, qui nous marquent plus que d'autres car ils sont extraordinaires.

Jean-François Parigi, Président du Département de Seine-et-Marne

Focus

La donation a été signée le jeudi 25 janvier à l'Hôtel du Département par Jean-François Parigi, Charles et Clara Goldstein.

La donation, réalisée avec réserve d’usufruit, comprend un patrimoine immobilier, situé à Maincy, la « Ferme de la Bordière », évaluée à 500 000 €, et une collection d’environ 500 toiles estimée à plus d’1,5 millions d'euros. Le Département s’engage en contrepartie à perpétuer la mémoire de l’artiste et à transmettre aux générations futures un héritage, non seulement artistique, mais surtout mémoriel.

Ainsi, le projet de la « Ferme de la Bordière », lieu d’Art et de mémoire, prendra sa place dans la politique culturelle et patrimoniale du Département, complétant l’offre muséale actuelle avec une résidence d’artistes et un lieu de rencontres et de médiation pour tous les publics.

megaphone

Une exposition est organisée par le Département de Seine-et-Marne à partir 25 janvier à l'Hôtel du Département, dans le cadre des commémorations de la journée de la mémoire des génocides et la prévention des crimes contre l'humanité qui a lieu le 27 janvier (date anniversaire de la libération d'Auschwitz). À cette occasion, des élèves de 3ea du collège Les Capucins ont été présents au vernissage et ont échangé avec Charles Goldstein.

Télécharger